C’était une journée de vote paisible dont rien ne laissait présager l’achèvement dans la colère et la confusion. Dimanche 24 février, 6,7 millions d’électeurs ont patiemment fait la queue devant les 14 600 bureaux de vote dispersés partout au Sénégal afin de désigner le chef de l’Etat des cinq prochaines années.
Peu après minuit, au siège de campagne du président sortant, candidat à sa succession, Macky Sall, son premier ministre Mahammed Boun Abdallah Dionne a pris la parole devant des centaines de militants pour le désigner vainqueur, sans même attendre les résultats officiels. « Il nous faut féliciter le président Macky Sall pour sa réélection dès le premier tour, a-t-il clamé devant une foule en liesse. Nos résultats compilés expriment que notre candidat a été largement victorieux dans treize des quatorze régions du pays (…). Nous pouvons nous attendre à un minimum de 57 %. » « Dès demain, notre candidat se mettra au travail pour mettre ce pays sur la voie de l’émergence », a conclu le premier ministre.
La déclaration a provoqué l’incrédulité sur les réseaux sociaux et parmi la population, qui s’est étonnée d’une annonce aussi précipitée. Les commissions de recensement des votes ont en effet jusqu’à mardi midi pour publier les résultats officiels au niveau départemental. Ce sera alors à la Commission nationale de recensement de les proclamer à l’échelle du pays avant vendredi minuit.
Une heure avant cette annonce, les deux candidats favoris de l’opposition, Ousmane Sonko et Idrissa Seck, ont fait front commun pour annoncer un « inévitable second tour » dans une « conférence de presse » où tous les médias n’étaient pas les bienvenus : deux journalistes – de RFI et de Jeune Afrique – ont dû être escortés hors de la salle devant l’hostilité de l’assistance.
Atmosphère trouble
« Les résultats déjà compilés nous permettent de le dire : un deuxième tour s’annonce », a affirmé l’ancien premier ministre Idrissa Seck, qui se présente pour la troisième fois à la présidentielle. Quant à Ousmane Sonko, le candidat « antisystème » de ce scrutin, il a tancé la presse nationale et étrangère. « J’invite la jeunesse à protester devant tout média prenant la responsabilité de déclarer Macky Sall vainqueur au premier tour sans les résultats officiels », a-t-il précisé dans un message.
Cette atmosphère trouble, au lendemain d’un scrutin pacifique, jette le doute sur l’issue véritable de l’élection. Compte tenu de la contestation manifeste de l’opposition et des délais légaux de proclamation des résultats, un éventuel second tour pourrait se tenir le 24 mars.
Cette situation rompt avec la tradition électorale sénégalaise qui veut que les perdants attendent les premiers résultats provisoires de la Commission de recensement pour annoncer leur défaite et féliciter le vainqueur. Mais en 2012 déjà, le camp du président sortant Abdoulaye Wade avait annoncé, avant les premiers résultats provisoires, avoir emporté la présidentielle dès le premier tour avec 53 % des voix. Cela s’était révélé faux : le candidat Wade n’avait obtenu, après décompte officiel, que 34,8 % des suffrages.
Cinq candidats en lice
Selon le premier ministre, les équipes de campagne du président Macky Sall auraient cette fois basé leurs calculs sur « des collectes de résultats provisoires remontés des bureaux de vote et compilés avec ceux de la presse ».
Macky Sall avait beaucoup misé sur ce premier tour, espérant en éviter un second. Le président sortant craint de subir, s’il est soumis à un nouveau vote en mars, le sort de tous les présidents sortants, et qu’une alliance de l’opposition se forme pour lui ravir son fauteuil. Le pays connaît bien ce scénario puisque c’est celui qui a mené aux deux alternances démocratiques que le Sénégal a connues.
Cinq candidats sont en lice pour diriger les 16 millions d’habitants. Face au sortant, l’ancien ministre Madické Niang et l’universitaire Issa Sall s’ajoutent au duo Ousmane Sonko et Idrissa Seck, qui n’a jamais caché miser sur un scrutin à deux tours.
Avant la campagne, l’ex-maire de Dakar Khalifa Sall, qui se taillait un costume de premier opposant politique dangereux pour la présidentielle, avait été arrêté pour « escroquerie portant sur les deniers publics » en 2017, disparaissant du même coup de l’échiquier politique. Comme Karim Wade, du Parti démocratique sénégalais, devenu premier parti d’opposition sous Macky Sall, dont la candidature à la présidentielle a été écartée par le Conseil constitutionnel le 20 janvier à cause de son passé judiciaire.
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