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La Démocratie au Bénin : Le chemin parcouru

La vague de démocratisation du continent s’est vite révélée n’être qu’un feu de paille pour plusieurs pays. Néanmoins, certains États ont véritablement réussi un tour de force en se débarrassant de régimes autoritaires et dictatoriaux pour se tourner vers le multipartisme, les élections libres et l’adoption de constitutions respectant les droits de la personne. C’est notamment le cas du Bénin. Longtemps été considéré comme l’enfant malade de l’Afrique, ce pays est aujourd’hui cité en exemple pour son revirement démocratique. Dès la fin des années 80, pour la population longtemps laissée sans voix, la libéralisation de l’information allait symboliser les transformations politiques à venir.

En effet, l’impact insoupçonné de l’établissement de la liberté de presse est représenté par le changement de flux communicationnel qui n’est dorénavant plus uniquement dirigée du haut vers le bas. En d’autres termes, « désormais, la population, ou plutôt un grand nombre d’acteurs ou de groupes d’acteurs politiques, ont à leur disposition des canaux qui leurs permettent de faire état de leurs opinions, condition fondamentale à l’existence d’un espace public démocratique »

Dès lors, la presse privée béninoise s’est positionnée en contre-pouvoir en dénonçant les abus et les cas de fraude. Elle est devenue par le fait même un acteur incontournable des changements politiques et sociaux.

LA TRANSITION POLITIQUE BÉNINOISE ET LE RÔLE DES MÉDIAS

Le Bénin a été le théâtre de manifestations bruyantes et de tensions sociales élevées au cours de l’année 1988-89. Le pays est paralysé par des grèves, les salaires des fonctionnaires sont impayés depuis plusieurs mois, les banques nationales en faillites et les comptes gelés. La situation économique a alors mené à une crise politique qui précipite la chute du régime de Mathieu Kérékou au pouvoir depuis 17 ans.

Dans le contexte de l’effondrement du régime et de la radicalisation des revendications, Kérékou annonce, le 7 décembre 1989 l’abandon du régime marxiste léniniste et la convocation d’une conférence nationale. En février 1991, la Conférence des  Forces Vives de la Nation se proclame souveraine et élit Nicéphore Soglo comme premier ministre durant une période intérimaire. Au début des années 1990, la conférence nationale béninoise devient le modèle à suivre pour plusieurs États africains. Cette conférence nationale est donc le point de départ de la transition démocratique béninoise. Notons qu’elle a été initialement organisée pour canaliser le mécontentement populaire. Kérékou, avec les judicieux conseils des bailleurs de fonds, a conçu la conférence nationale comme mode de gestion de crise et comme un moyen adroit de se sortir de l’impasse. Mais contrairement à ses attentes, au terme de cette conférence, des élections sont déclenchées et le peuple béninois en 1991 assiste à la première alternance politique à survenir au pays, depuis la prise de pouvoir par Kérékou en 1972.

Peut-on parler de démocratie au Bénin?

Selon la définition de démocratie de Christophe Jaffrelot qui est compatible avec les systèmes sociaux où l’individu n’occupe pas officiellement la place centrale. Ainsi, l’auteur définit la démocratie comme un « système politique qui, dans un État souverain, remet le contrôle du pouvoir exécutif à des représentants du peuple désignés lors des élections régulières au suffrage universel et qui  garantit constitutionnellement la liberté d’expression et d’association ».

Dans ce contexte, le Bénin a donc effectué avec succès sa transition vers la démocratie. Le 18 mars 1995, Kérékou remporte les secondes élections du renouveau démocratique du Bénin. Le retour au pouvoir de l’ancien dictateur inquiète de nombreux observateurs internationaux qui craignent un retour en arrière et la fin de l’expérience exemplaire du Bénin. Ces observateurs se demandent si le retour au pouvoir de Kérékou, cinq ans après les premières élections démocratiques, ne va pas remettre en cause le processus de démocratisation du Bénin. Ce qui n’a pas été le cas. L’armée est toujours à l’écart de la politique. Nicéphore Soglo, le prédécesseur de M.Kérékou, peut circuler librement dans le pays et reprendre ses activités politiques. La liberté de presse est renforcée, aucune entrave n’a été portée aux libertés individuelles et la violence politique n’a pas fait son apparition.

Les obstacles et enjeux du processus démocratique

Au niveau sociologique, l’existence d’une classe sociale hostile au changement et qui « vit de subsides distribués par les organismes publics et privés impérialistes et se renouvelle à travers de multiples réseaux formels et informels taillés sur mesure», est selon Philippe  Noudjenoume une contrainte majeure. Il insiste également sur la «prévalence des idéologies ethno-régionalistes ». Il fait mention d’«ethnocratie» définie comme «la condition nécessaire et suffisante à un jeu politique loyal, la présence physique au banc du gouvernement d’un enfant de la région ou de l’ethnie ». Ces vues ethno-régionalistes ont un impact sur le suffrage électoral, car les électeurs choisissent « l’enfant du pays» plutôt qu’un programme. C’est pourquoi, selon Noudjenoume, la décentralisation est un défi très important auquel l’État béninois devra rapidement faire face.

Parmi les contraintes économiques, Noudjenoume insiste sur la presque totale dépendance du secteur industriel au secteur agricole de l’économie béninoise des intérêts étrangers. Selon lui, le processus démocratique béninois est « pris en otage» par des intérêts étrangers et des politiques économiques néolibérales définies à l’extérieur. Ceci dit, le phénomène du clientélisme, un enjeu central pour qui veut comprendre à quoi est confrontée la démocratie béninoise. La politique clientéliste semble jouer un rôle important dans la mobilisation des soutiens lors des élections et dans les modalités de redistribution. Dès lors, ce phénomène représente un frein à la consolidation de la démocratie béninoise.

Pourquoi s’intéresser aux médias africains et à la presse en particulier?

Il est généralement admis que les médias participent à la construction des espaces de discussion citoyenne. Ils symbolisent la notion de liberté d’expression plus que toute autre institution. De plus, toute atteinte à ce droit humain fondamental est perçue comme une menace à la démocratie. L’information et les médias comme enjeux et moyens d’action politique. En conséquence, quelque soit le système politique en place, les médias peuvent participer à la légitimation du pouvoir et à la reproduction sociale des rapports existants. L’information et les médias, de plus en plus accessibles, atténuent les conflits susceptibles de survenir entre les diverses composantes des communautés modernes. Selon cette vision libérale, les médias sont capables d’offrir un compte rendu objectif, complet et intelligible des événements.

Rôle et influence des médias

Même si on admet que l’association linéaire médias-démocratie est basée sur un idéal théorique, force est de constater que les médias exercent un rôle politique important. Leur action influence l’évolution des rapports de forces entre différents groupes sociaux. Par les sujets qu’ils choisissent de traiter et leurs façons de le faire, ils orientent les perceptions que le public se fait de la réalité sociale. Les diverses études sur l’influence des médias démontrent que ceux-ci ont le pouvoir d’influer sur le cours des événements de plusieurs façons. D’abord sur différents registres, les médias influencent les opinions. Ils choisissent l’ordre du jour en hiérarchisant les événements de l’actualité, mettent l’accent sur certains événements et occultent d’autres. Ils opèrent ensuite un certain «cadrage» de l’information par la façon et le ton utilisés pour décrire les événements rapportés.

Enfin les médias produisent un effet dit d’ « amorçage» lorsqu’ils désignent les critères au regard desquels une personnalité politique sera jugée, en insistant sur certains faits ou certains enjeux plutôt que sur d’autres.

LA SITUATION POLITIQUE DU BÉNIN DEPUIS 1990

La situation politique béninoise s’est relativement transformée au cours des années 90. Les Béninois ont découvert la compétition électorale et ont renoué avec un État de droit respectueux des droits de la personne.

Une transition exemplaire

La transition du Bénin vers la démocratie a maintes fois été citée en exemple. Au début des années 90, ce pays fait figure de pionnier pour avoireffectuéen1991, une transition démocratique sans effusion de sang, juste par la discussion et les compromis .La Conférence nationale, organisée pour la première fois sur le continent, constitue l’outil majeur de cette transition pacifique dont elle est devenue le symbole. Par ailleurs, la transition béninoise résulte d’un certain nombre de facteurs dont les plus importants sont la mobilisation de divers groupes sociaux et politiques et les luttes entre différentes factions. Pour circonscrire les particularités de cette transition, il faut retourner à sa genèse et se pencher sur les facteurs endogènes des mobilisations qui sont à l’origine de cette expérience politique. Pour saisir l’influence des dynamiques internes il faut faire une courte rétrospective de la politique béninoise depuis l’accession du pays à l’indépendance en 1960. Kérékou arrive au pouvoir en 1972. Cette prise de pouvoir marque une rupture dans la trajectoire du pays. En effet, le Bénin se débat dans l’instabilité politique depuis son indépendance en 1960. En dix ans, la population a vu se succéder, une douzaine de coup d’État, dont cinq réussis (1963,1965, 1967, 1969 et 1972), une dizaine de présidents (six militaires et cinq civils) et cinq constitutions. Cela lui a valu le surnom « d’enfant malade de l’Afrique ».Durant, le régime instauré par Kérékou en 1972, le Dahomey, qui allait devenir le Bénin en 1975, a connu une période de stabilité au cours de laquelle de nouvelles élites civiles et militaires allaient prendre le contrôle des affaires de l’État.

En 1974, Kérékou opte pour l’adoption officielle du marxisme-léninisme comme système politique. Ce qui est annoncé comme une véritable révolution idéologique, n’est en réalité qu’un simple exercice de rhétorique. Le Parti Révolutionnaire Populaire du Bénin (PRPB) de Kérékou n’a rien d’un parti populaire et n’est rien d’autre qu’un «club privé».Les nationalisations de divers secteurs économiques montrent rapidement leurs limites. Le gouvernement doit céder aux contraintes de la dette nationale. Une dette qui découle directement de pratiques de détournement de fonds et du pillage systématique des biens publics par les dignitaires du régime.

Le véritable point fort de la transition béninoise, est celui de la Conférence Nationale des Forces Vives de la Nation (CNFVN), se passe à Cotonou du 19 au 28 février 1990.Cette conférence réunit 493 délégués de l’opposition et du pouvoir avec l’objectif de réfléchir sur le devenir constitutionnel du pays. Après s’être déclarée souveraine, elle suspend la constitution, dissout l’assemblée Nationale Révolutionnaire (ANR) et destitue le gouvernement. C’est autour des questions des quotas et de la souveraineté de la conférence nationale que les conflits entre antagonistes sont les plus révélateurs. Dans un premier temps, l’annonce des quotas de représentation avant la tenue de la conférence soulève un tollé de protestations: les différents groupes de la société civile dénoncent les 22 places réservées aux ministres et les 13 sièges réservés aux militaires contre une dizaine seulement pour les représentants des autres formations politiques. Ainsi, devant le mécontentement populaire et par peur de voir leur projet échouer, les autorités sont obligées de revoir leurs nombres de sièges à la baisse. Près de 500 demandes de participation sont alors recueillies. Sur la base de celles-ci, le comité préparatoire définit une quinzaine de catégories qui peuvent obtenir des représentants: les anciens présidents et sages, les syndicats, les béninois de la diaspora, les associations professionnelles, les ONG, les associations d’obédiences religieuses et partis d’opposition proscrits. La « guerre des quotas»   illustre un problème crucial rencontré lors de l’organisation de la conférence: comme concrètement convertir les capacités de mobilisation de la rue en nombre de sièges et de représentants dans l’arène institutionnelle.

Le passage de la mobilisation populaire à la représentation politique représentait un enjeu de taille qui, dès les premiers instants, risque de faire échouer la tenue de la CNFVN.

Dans un second temps, la question de la souveraineté de la conférence se pose aux délégués réunis. L’enjeu est de taille, puisqu’il s’agit de déclarer exécutoires les décisions prises dans le cadre de la conférence. Ainsi, comme le déclare Kérékou, les délégués entendent bien exécuter un « coup d’état civil ». Malgré les conflits qu’elle suscite, notamment les menaces d’intervention militaire de la part de l’aile dure de l’armée, l’idée de la souveraineté de la conférence s’impose comme étant la seule solution légitime et possible. Dès lors, une fois sa souveraineté déclarée, la conférence suspend la Loi fondamentale marxiste-léniniste de 1977 et confie à une commission de juristes le soin de rédiger une nouvelle constitution. Elle restreint les pouvoirs de Kérékou (qui est maintenu à son poste mais sans la plupart de ses attributions, dont le portefeuille de la défense) et elle crée un poste de premier ministre confié à Nicéphore Soglo.

Le renouveau démocratique (1991 – 1995)

Au lendemain de la conférence nationale, des institutions de transition sont mises en place avec à leur tête Nicéphore Soglo. Le gouvernement de transition se retrouve devant une tâche herculéenne: mettre fin au mouvement de grève qui paralyse le pays depuis plusieurs années, moraliser la vie publique, assainir les finances publiques, privatiser les entreprises d’État, redéfinir le statut de la fonction publique et les critères d’affectation de son personnel, fermer les prisons politiques et restructurer les organes de sécurité. Mais la priorité est la mise en place d’élections présidentielles, concrétisation du tournant démocratique du pays. Les élections présidentielles de 1991 marquent la fin de la transition béninoise et mettent fin à l’incertitude qui régnait lors de la conférence nationale. Si treize candidats briguent la présidence, à cette époque l’attention se porte sur Nicéphore Soglo et Kérékou. Le premier reçoit un appui indéfectible des médias, un des facteurs déterminant de son succès auprès de l’électorat.

Pour reprendre les termes utilisés par la Gazette du golfe, « Kérékou, c’est le PRPB qui entend se restaurer pour nous asservir à jamais. Soglo, c’est la conférence nationale parvenue à l’étape féconde de sa production. Brusquement, le peuple se rend compte de l’enjeu: tout à perdre ou tout à gagner. C’est donc pour le changement que le peuple vote, puisque que Soglo remporte la victoire avec 67.73% des voix. L’innovation dans l’histoire politique béninoise des trente années précédant cette élection, est la réaction de Kérékou.

En effet, pendant les jours qui suivent son échec électoral, une vive tension plane sur le pays. Tous présument du rejet des résultats par l’ancien général et ses acolytes, car ce dernier n’a pas reconnu tout de suite l’issue du scrutin électoral. Pourtant, contre toute attente, Kérékou annonce sa décision de se soumettre au verdict du peuple béninois et de reconnaître en Soglo, le nouveau président du pays. Une fois élu, Nicéphore Soglo s’attelle à un immense chantier de reconstruction du pays. Parmi les priorités de son gouvernement figure un rigoureux plan d’ajustement structurel dont les coûts sociaux feront vaciller la jeune démocratie béninoise.

Il s’agit pour la nouvelle équipe non seulement de redresser une économie exsangue, mais aussi de répondre aux attentes matérielles qui se sont exprimées dans le mouvement de 1989. Très rapidement, le pays se remet au travail et le gouvernement parvient, par la mise en œuvre de mesures drastiques, à assainir les finances publiques.

Mardochée Delarue (Stag.)

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