La politique ivoirienne, comme l’a dit quelqu’un, est comme la musique congolaise : lorsque vous croyez que tout est fini, eh bien, ça repart de plus belle, et c’est là que ça chauffe. Laurent Gbagbo et [l’ex-chef du mouvement des Jeunes patriotes] Charles Blé Goudé viennent donc d’être acquittés.

C’est pour les victimes de la crise postélectorale de 2010-2011 et leurs proches que la pilule sera difficile à avaler [la crise était née du refus du président sortant, Laurent Gbagbo, de céder le pouvoir à son rival, l’actuel chef d’État Alassane Ouattara, et avait fait plus de 3 000 morts en cinq mois]. Si les juges de la Cour pénale internationale (CPI) disent n’avoir aucun élément pour établir la culpabilité [pour crimes contre l’humanité] de Laurent Gbagbo et de Charles Blé Goudé, les nombreux témoins encore vivants de cette crise ont une autre vision des choses.

Ils sont encore nombreux à avoir en tête les appels à la haine lancés à la télévision et à la radio d’État, à se souvenir des escadrons de la mort, des barrages dressés par les Jeunes patriotes, des personnes brûlées vives, des bombes sur des marchés et tout le reste.

Mais la justice a tranché. Il n’y a pas assez d’éléments pour établir la culpabilité des deux hommes. Qu’il en soit ainsi. Rentreront-ils au pays ? A priori, rien ne les en empêche [une nouvelle audience de la CPI doit se tenir ce mercredi 16 janvier pour évoquer la remise en liberté des deux détenus].

Ils étaient nombreux, les observateurs de notre vie politique qui avaient conditionné la réconciliation nationale à la libération de Laurent Gbagbo et de son affidé Charles Blé Goudé. Va-t-on y parvenir maintenant qu’ils sont libérés ? La joie des partisans de Laurent Gbagbo est-elle le synonyme de la réconciliation ? Attendons plutôt d’entendre les propos de l’ex-président et de voir ses actes avant d’apprécier si sa libération apportera cette fameuse réconciliation.

Pour ce qui est de la situation politique dans le pays, le moins que l’on puisse dire pour le moment, c’est que le retour de Laurent Gbagbo ne fera, dans un premier temps en tout cas, qu’ajouter de la confusion à une situation déjà passablement confuse. Essayons de la résumer.

Éclatement de la coalition au pouvoir

Henri Konan Bédié [ex-président ivoirien, à la tête du Parti démocratique de Côte d’Ivoire, le PDCI] a quitté son alliance avec Alassane Ouattara, est devenu son adversaire le plus virulent et il cherche à s’allier à Guillaume Soro [le président de l’Assemblée nationale, qui a pris ses distances avec Alassane Ouattara] et Laurent Gbagbo. Dans l’espoir que ces deux-là l’aideront à reconquérir le pouvoir [lors de la présidentielle prévue en 2020].

Guillaume Soro, qui aurait bien voulu être le dauphin d’Alassane Ouattara, se verrait plutôt, à défaut d’être en première, en seconde position sur un ticket avec Henri Konan Bédié. Certains militants du PDCI ne sont pas d’accord avec la décision de Bédié de quitter l’alliance avec Ouattara.

[Depuis la chute de Laurent Gbagbo], son parti, le FPI [Front populaire ivoirien], est divisé en deux factions. Celle qui est directement dirigée par Laurent Gbagbo lui-même est menacée de se scinder en deux, du fait de la rivalité entre les deux épouses de Gbagbo, qui ont chacune leurs supporters. Vous me suivez jusque-là ? Bref, tout le monde est fâché avec tout le monde et tout est mélangé.

2020, une réédition de 2010 ?

Que va faire Laurent Gbagbo ? Soit il entre dans la danse et devient candidat à la présidence, soit il reste au-dessus de la mêlée et se contente d’être un faiseur de rois. S’il est candidat, il risque de se retrouver face à Bédié, qui n’exclut pas de se porter lui aussi candidat.

Alassane Ouattara [empêché par la Constitution de se représenter pour un troisième mandat], lui, a déjà appelé à passer la main à des plus jeunes. Mais résistera-t-il à l’envie de redescendre dans l’arène si Bédié et Gbagbo y sont déjà et que son poulain risque de faire pâle figure ?

Nous assisterions alors à une réédition de l’affrontement de l’élection 2010, avec les mêmes protagonistes, mais avec un renversement des alliances. Et si Gbagbo devait être seulement un faiseur de rois, ce serait qui ?