Crise Mali-Côte d’Ivoire Les dessous de la libération des soldats ivoiriens.

Crise Mali-Côte d’Ivoire
Les dessous de la libération des soldats ivoiriens.

Les militaires emprisonnés au Mali étaient au sein d’un imbroglio mêlant politique régionale et trafic d’or
La crise aura duré près de six mois, mettant aux prises le Mali et la Côte d’Ivoire, impliquant une bonne partie des chefs d’Etat d’Afrique de l’Ouest, inquiets d’une escalade entre voisins, et suscité la confusion des Nations unies. Comme un feuilleton aux multiples rebondissements et qui ne semblait jamais devoir s’achever, celle-ci aura même pris un nom : l’« affaire des 49 soldats ivoiriens ». Elle s’est conclue le 7 janvier par le retour à Abidjan des 46 derniers membres des forces spéciales encore détenus à Bamako, graciés un jour plus tôt par le chef de la junte malienne, le colonel Assimi Goïta, après leur condamnation à vingt ans de prison pour « attentat et complot contre le gouvernement » et « atteinte à la sûreté extérieure de l’Etat ».
Leur arrestation à leur arrivée à l’aéroport de Bamako le 10 juil­let 2022 – ils étaient alors accompagnés de trois collègues féminines, libérées en septembre en guise de « geste humanitaire » –, puis leur présentation par le ­gouvernement malien comme des « mercenaires » cherchant à ­« déstabiliser la transition », avait provoqué la stupeur générale, alors que le Mali profitait depuis à peine une semaine de la levée des sanctions financières de la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cedeao).
Pourquoi, en effet, après sept ­rotations précédentes n’ayant posé aucun problème depuis 2019, des militaires ivoiriens venus appuyer le contingent allemand de la Mission des Nations unies au Mali (Minusma), se retrouvaient-ils la cible de telles ­accusations ? Au sein de la présidence ivoirienne, certains y ont vu la main du nouvel allié de ­Bamako : les ­paramilitaires russes du groupe Wagner, espérant ainsi affaiblir la Côte d’Ivoire, alliée de Paris dans la région.
La Minusma ainsi que l’Allemagne, qui a sollicité la venue de ces soldats, sont jusqu’ici restées silencieuses sur cette affaire et le statut de leurs partenaires. Alors qu’Abidjan affirme depuis les premiers jours de la crise que ses ­soldats étaient déployés dans le cadre d’un accord de partenariat signé avec l’Allemagne en juillet 2019, puis validé par les ­Nations unies, pour assurer la logistique et la sécurité sur la base onusienne de l’aéroport de Bamako, opérée par un prestataire privé, Sahel Aviation Service (SAS), Antonio Guterres, le secrétaire général des Nations unies, s’est limité à demander aux autorités maliennes « de résoudre ce problème ». Il s’est borné à préciser que les soldats ivoiriens arrêtés à leur arrivée à Bamako et aussitôt placés en détention n’étaient pas « des mercenaires ». Par la suite, tandis que les jours de détention de ces derniers se transformaient en semaines, puis en mois, l’ONU s’est montrée peu présente dans le processus de négociation en vue de leur libération.
Pour parvenir à une solution, les deux parties – Côte d’Ivoire et Mali – ont, dans les faits, surtout pu compter sur le Togo, dont le président, Faure Gnassingbé, bénéficie d’une oreille attentive auprès de la présidence malienne. La médiation de Lomé a abouti à un mémorandum d’accord, signé le 22 décembre 2022 entre le Mali etla Côte d’Ivoire, insistant sur la « solidarité » et la « coopé­ration » entre voisins. Le colonel Assimi Goïta, chef de la junte au pouvoir à Bamako, semble alors sortir politiquement gagnant de l’épreuve de force qu’il a engagée. Le Mali a dicté le tempo de cette crise et envoyé un message de ­fermeté à ceux qui restent déployés au sein ou en appui de la Minusma.
Jouer l’apaisement.
Pour sa part, le président ivoirien Alassane Ouattara s’est efforcé de jouer l’apaisement. La Côte d’Ivoire s’est d’ailleurs refusée à adopter des mesures dures vis-à-vis de son voisin. « Nous ne manquions pourtant pas de leviers, comme la coupure de l’approvisionnement électrique alors que le Mali nous doit environ 100 milliards de francs CFA [152 millions d’euros], précise une source officielle ivoirienne. Au sein de l’opinion publique et de l’armée, ­certains prônaient une opération ­armée pour libérer nos soldats, de s’en prendre aux Maliens de Côte d’Ivoire malgré le risque d’affrontements communautaires que cela aurait causé. Tout cela a traîné car Bamako a instrumen­talisé cette affaire pour affirmer sa souveraineté dans un contexte ­intérieur difficile, mais le président n’a jamais voulu franchir le pas de la confrontation, ni même des ­représailles. ».
En signe de réconciliation, ce dernier a même appelé le colonel Goïta le 24 décembre 2022 pour lui proposer une visite officielle en Côte d’Ivoire. Un voyage encore très hypothétique tant le chef de la transition au Mali évite les déplacements à l’étranger ­depuis son premier coup d’Etat, en août 2020. Reste que, derrière sa déclaration apaisante lors du retour de ses soldats, M. Ouattara n’a pas manqué d’insister sur son souhait que le Mali se conforme à son engagement pris auprès de la Cedeao et organise « des élections démocratiques et constitutionnelles dès l’année prochaine ». Alassane Ouattara « s’est senti humilié et il ne l’oubliera pas », avertit l’un de ses proches.
D’après plusieurs sources maliennes et étrangères ayant requis l’anonymat, l’une des raisons ayant suscité le peu d’engagement des Nations unies dans la résolution de cette affaire est à chercher dans les agissements des précédents contingents ivoiriens passés par l’aéroport de ­Bamako. En parallèle de leur ­mission officielle, ceux-ci ont, selon ces sources,participé à des activités de « gardiennage privé » au profit de deux hautes personna­lités malienne et ivoirienne.« C’était un business monté par Karim Keïta et Hamed Bakayoko », précise l’une de ces sources, en évoquant des sorties frauduleuses d’or, un minerai dont le Mali demeure l’un des principaux ­producteurs africains – 63,4 tonnes officiellement produites en 2021 –, exporté aussi bien par la voie légale que clandestine.
Les bonnes relations entre ­Karim Keïta, exilé en Côte d’Ivoire depuis 2020 à la suite du renversement de son père, le président Ibrahim Boubacar Keïta (IBK, 1945-2022), et Hamed Bakayoko, ministre de la défense puis premier ministre de Côte d’Ivoire ­entre 2017 et 2021, date de son décès, n’avaient rien de secrètes. En Côte d’Ivoire, plusieurs officiels relatent d’ailleurs que le second a, lors du coup d’Etat d’août 2020 au Mali, largement contribué à l’exfiltration vers Abidjan du premier, désormais sous le coup d’un mandat d’arrêt international et de sanctions du Trésor américain.
Selon une source malienne ayant longuement travaillé aux côtés d’IBK et qui continue de s’entretenir avec les officiers qui lui ont succédé, « les contingents ivoiriens servaient à protéger les voyages de la compagnie SAS, qui opère des vols pour la Minusma, des ONG mais aussi des miniers ». Et de poursuivre : « Après le coup d’Etat, puis la mort d’Hamed Bakayoko, cela s’est poursuivi avec la complicité de certains officiers maliens et de l’état-major ivoirien, mais les putschistes n’étaient au courant de rien. C’est Guillaume Soro [l’ancien chef rebelle et ­président de l’Assemblée nationale ivoirienne aujourd’hui en conflit ouvert avec M. Ouattara] qui leur a vendu la mèche. Ils ont alors aussitôt vu l’intérêt de monter l’affaire en épingle pour faire pression sur la Côte d’Ivoire qu’ils pensent être à l’origine des sanctions de la Cedeao et de leurs difficultés à emprunter sur les marchés financiers ».
Règlement de comptes.
« Guillaume Soro a bien été en contact avec la junte, espérant que la détention de nos militaires provoque un soulèvement dans l’armée ivoirienne, rétorque un ministre ivoirien sous couvert d’anonymat. Mais dans nos discussions avec les Maliens, il n’a jamais été question d’une quelconque affaire ayant associé Karim Keïta et ­Hamed Bakayoko sur la structure de l’aéroport de Bamako. Ils se sont plaints notamment de ne pas avoir été informés de l’arrivée de nos soldats, de leur identité qu’ils disaient fallacieuse, et ont aussi demandé un refinancement à la Banque centrale des Etats d’Afrique de l’Ouest, persuadés que le président Ouattara les bloquait. ».
Avant de se raviser devant le refus d’Abidjan, les autorités de Bamako avaient un temps tenté d’obtenir l’extradition de Karim Keïta ainsi que celle de deux anciens ministres maliens en échange de la libération des soldats. « Nous sommes aujourd’hui, au Mali, dans un contexte de règlement de comptes avec l’ancienne équipe dirigeante, et Karim Keïta est la première cible », analyse un observateur étranger, rappelant par ailleurs l’implication du fils d’IBK dans de nombreuses affaires financières et l’importance de « contrôler les structures de l’aéroport qui permettent de servir de plate-forme pour les entrées et sorties illégales du territoire ». Selon la même source, « les pratiques n’ont pas changé. Les putschistes reprennent la main sur des flux ­financiers qui échappaient à la comptabilité publique et les réorientent à leur profit ». Contactée par Le Monde, la société SAS dit n’avoir aucune information à communiquer sur cette affaire et invite à se référer aux autorités ivoiriennes et allemandes pour tout commentaire.

Source: Internet

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