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Bénin : de Kutonu à Cotonou, une plongée dans l’histoire pour reconquérir la mémoire

À travers une exposition visible jusqu’en octobre, la Fondation Zinsou invite les Cotonois à (re)conquérir une mémoire partiellement effacée par la parenthèse coloniale.

Cotonou ne doit pas son nom à l’or blanc qui transite par ses artères et remplit les poches de ses transitaires. Kutonu, c’est « la lagune de la mort », en langue fon. Une terre en marge, un bout du monde marécageux d’où a émergé presque soudainement une ville carrefour, cosmopolite et changeant sans cesse. Mais une cité sans histoire, aussi, celle avec un grand H, dont ses voisines Ouidah et Abomey ont écrit les pages au fil des siècles. Sauf que cette réputation est fausse, et l’exposition « Cotonou(s). Histoire d’une ville “sans histoire” », à découvrir jusqu’en octobre à la Fondation Zinsou, y apporte un démenti cinglant.

Sur un grand écran, une carte évolutive invite le visiteur à suivre, étape par étape, l’expansion de la ville du début du XVIIe siècle à aujourd’hui. Une croissance quasi organique. Les premières cartes, imprécises, sont l’œuvre des esclavagistes européens, qui ratissent alors le littoral pour leur funeste récolte humaine. Dans un espace presque vide, Cotonou se résume à un chapelet de villages éparpillés, occupés par des clans xwlas, toffinus ou sètos qui ont trouvé là un refuge face à l’avancée des guerriers du royaume d’Abomey.

Quand celui-ci préempte toute la région en quête d’un accès à la mer, au début du XVIIIe siècle, la carte se noircit peu à peu. Les routes s’étendent, comme autant de veines, pour relier des villages qui prennent de l’ampleur. En 1892, la construction par les colons français du wharf, un quai qui permet aux gros navires d’accoster, marque un tournant. Le commerce se déporte de Ouidah à Cotonou. La ville conquiert l’espace, par cercles concentriques autour du quartier de Placodji. Vient ensuite l’étalement urbain exponentiel des années qui suivent l’indépendance. De 20 000 habitants en 1952, la ville passe à plus de 700 000 aujourd’hui.

Fonds d’archives

Un pas plus loin, on croise les premiers Cotonois à avoir été fixés sur pellicule, à la fin du XIXe siècle. Des tirages grandeur nature qui provoquent un fort sentiment de proximité.

Difficile de ne pas être saisi par le regard de cette « femme peule », figée dans une posture fière. Rencontre troublante, également, avec « Bakary », que le photographe dit être nagot : un gamin qui semble n’avoir pas plus de 14 ans, engoncé dans un uniforme militaire aux gros boutons de cuivre remontés jusqu’au ras du menton. Et puis ce « tirailleur sénégalais », affecté à Cotonou pour y maintenir l’ordre colonial, qui surjoue devant l’objectif une pose conquérante enthousiaste, mais dont le regard dit une autre histoire.

L'exposition "Cotonou(s). Histoire d'une ville "sans histoire".

DES TIRAGES GRANDEUR NATURE QUI PROVOQUENT UN FORT SENTIMENT DE PROXIMITÉ

La plus grande partie de ces images provient d’un fonds acheté en France en 2017 par Marie-Cécile Zinsou, la présidente de la fondation. Un album de 370 photographies et un carnet d’aquarelles, œuvre d’un certain capitaine Théophile Tralboux, militaire français en poste de 1886 à 1896 à Cotonou. Certes, le regard porté sur le développement de la ville est celui du colonisateur. Mais, en attendant que devienne effective la promesse de la France de restituer le patrimoine spolié, ce jour-là, c’est bien avec une part de la mémoire béninoise que l’historienne de l’art est revenue à Cotonou.


Pour mettre de l’ordre dans ce fonds d’archives, la fondation s’est adjoint les avis de l’anthropologue Riccardo Ciavolella et de la géographe et urbaniste Armelle Choplin.

« On est capable de faire des cours d’histoire précoloniale, coloniale et postcoloniale, alors que la colonisation, c’est soixante-huit années de notre histoire. Comment avoir accès à notre identité d’avant la colonisation ? La colonisation et la révolution marxiste-léniniste ont effacé énormément de traces de notre patrimoine culturel. Le but est de revenir à cette histoire. De retrouver la fierté de notre histoire », explique Marie-Cécile Zinsou.

Et là où la galerie de portraits donne un visage à celles et ceux qui sont venus construire la ville, parfois à leur corps défendant, aquarelles et dessins ravivent les empreintes d’un temps parfois volontairement effacé.

Conjurer les vagues

Des fétiches vaudous, installés pour conjurer les vagues, ou des vues de villages aujourd’hui disparus sont ramenés à la vie en quelques coups de crayon. Les instruments de domination aussi. Comme ce fourreau joliment décoré, dans lequel vient se ficher une lame courbe, dessiné sur un panneau sobrement intitulé « Instruments de répression destinés aux esclaves » et sur lequel on observe également des fers.

En retrouvant la vibrante atmosphère des rues de Cotonou, on se prend à confronter le visage de la ville d’aujourd’hui avec celui de son passé. Ainsi de l’emblématique cathédrale Notre-Dame-de-Miséricorde, dont la façade rouge et blanche surplombe le boulevard Steinmetz, l’un des « pionniers » du catholicisme au Bénin. Elle a été érigée sur l’emplacement de la case du chef du village d’esclaves de Kutonu…

À COTONOU, RÉCHAUFFEMENT CLIMATIQUE OBLIGE, INÉLUCTABLEMENT, L’OCÉAN GAGNE DU TERRAIN

Et puis il y a les traces peu visibles, presque fugaces. Comme ce plot de béton qui, à quelques encablures du rivage, marque l’emplacement de l’ancien village d’Awansari, refuge des toffinus, les « gens sauvés par l’eau ». Lointain ancêtre de l’actuel Awansari – l’un des quartiers les plus pauvres de la ville, qui attire parfois les touristes en quête de photos pittoresques de cité lacustre – , il est surmonté d’un « vaudun » à l’aspect fragile qui veille sur la mémoire perdue des premiers habitants de Kutonu.

Mais pour combien de temps encore ? Car à Cotonou, réchauffement climatique oblige, inéluctablement, l’océan gagne du terrain. Et, face aux vagues qui emportent avec elles une part de la mémoire de la ville, le travail amorcé par « Cotonou(s). Histoire d’une ville “sans histoire” » n’en semble que plus nécessaire.


La lagune de la mort

L’étymologie de Cotonou (ku to nu, « la lagune de la mort », en langue fon) rappelle que la ville est bâtie sur un ancien marécage insalubre. Les noms des quartiers, qu’ils soient officiels ou vernaculaires, portent aussi une part de l’histoire du territoire.

Certains disent l’origine des premières populations, comme Placodji (ou Xwlacodji, pour « sur la terre du peuple xwla »), ou Guinkomey (« sur la terre des populations de Guin »). D’autres font résonner les échos de batailles oubliées, comme Ahouansori (ahuan sè-toji, « la guerre finit sur l’eau »), Ahouanlèko (« là où la guerre s’est retournée ») ou Midombo (« repliez-vous »). Enfin, ceux qui disent la paix retrouvée, comme Sègbèya (« le destin a mis un terme à la misère ») ou Aïdjèdo (« cœur en paix »).

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